Corée du Sud : une élite formatée par les hagwon
Auteures: Camille ARNOUX, Maelis DEVAUX
Introduction
Depuis la fin des années 1980, la Corée du Sud a su établir une structure économique moderne et se placer dans la liste des pays les plus développés et comme une présence importance en Asie. Suivant le principe coréen de priorité aux études et de la notion de groupe, la Corée du Sud a conçu son système d’éducation sur une forme privilégiant les études au détriment de l’élévation de soi. Etre utile à son pays est l’un des buts premiers de chaque sud-coréen. Pouvoir offrir à la Corée du Sud quelque chose de nouveau et de meilleur est l’une des seules manières possibles de pouvoir s’élever socialement et économiquement. Cette pensée d’ailleurs n’est pas récente car depuis la fondation de la Corée, et notamment depuis l’intégration du néoconfucianisme comme idéologie politique du pays, celui-ci a fondé ses valeurs et sa culture sur un système qui se veut méritocratique et filial. Filial à sa famille mais aussi à son pays. C’est l’une des raisons qui peut expliquer pourquoi la Corée du Sud demande beaucoup à la jeunesse et à son éducation. L’éducation coréenne a un lien très étroit avec l’économie du pays. Etre un bon étudiant avec de bonnes notes, c’est offrir de meilleures possibilités au pays. Nous allons démontrer qu’accéder à l’élite passe par une éducation spécialisée, qui comprends l’apprentissage à l’école (publique ou privée), mais notamment à travers un système scolaire dit d’« après l’école », le hagwon. En première partie, nous allons présenter ce que représente un hagwon, puis son utilité au regard du système public et de l’Etat, pour conclure sur les problèmes que peut causer cet acharnement scolaire autant sur la société que sur l’étudiant même.
Les hagwon : un système d’éducation parallèle ?
Un hagwon : qu’est-ce que c’est ?
En Corée du Sud, l’école ne se termine pas à quatre heures de l’après-midi, ou à cinq heures comme dans la plupart des pays occidentaux. Peu importe l’âge ou le niveau scolaire, tous les jeunes étudiants Sud-coréens ou presque poursuivent leur apprentissage au-delà des heures de classe. Pour cela, ils se rendent dans des hagwon. Ce sont des instituts privés, dont les origines remontent à l’occupation japonaise et qui visaient initialement à fournir un soutien scolaire aux lycéens en difficulté. On peut se pencher sur l’étymologie du mot hagwon (학원 en langue coréenne), qui est composé des caractères 학 signifiant «études» (en hanja, caractère sino-coréens, cela s’écrit 學) et 원, qui veut dire «Institut » (en sino-coréen, 院 ). L’institut réservé aux études, un lieu dédié à l’apprentissage et à la connaissance. L’étude est au cœur des valeurs confucéennes qui affirment qu’un homme doit cultiver son esprit pour pouvoir un jour s’élever au rang de sage. Ce sont les principes du onfucianisme qui ont influencé la société coréenne pour en faire aujourd’hui ce qu’elle est.
Les hagwon visent donc à apporter connaissance et sagesse aux jeunes étudiants. Cependant, ces instituts de soutien scolaire ont rapidement évolué et gagné en popularité auprès des parents, malgré de nombreuses tentatives de régulation et de limitation du pouvoir de ces établissementq qui bien souvent parviennent à se hisser au-dessus des lois. On leur reproche entre autres de creuser les inégalités entre les familles qui peuvent se permettre d’y envoyer leurs enfants et celles qui n’en ont pas les moyens. Ce système d’éducation parallèle a remporté un succès viral en Corée du sud et de nombreux hagwon sont apparus dans les années 90, poussés par une frénésie pour l’éducation les Coréens. La mission de ces hagwon est de rendre les étudiants plus performants aux examens, plus compétiteurs et d’augmenter leurs chances d’entrer un jour dans une grande université. Ce parcours vers le succès commence dès l’âge de trois ans jusqu’au lycée et le sacro-saint examen d’entrée à l’université : l’examen qui sera décisif pour l’avenir de millions de jeunes Sud-coréens.
Un système bien ancré
Quel que soit la matière ou le niveau scolaire, les hagwon fournissent des classes à effectifs restreints, dirigées par des professeurs particuliers (et parfois très médiatisés) triés sur le volet. Ce format, qui contraste avec les classes publiques surchargées, plaît particulièrement aux parents qui souhaitent absolument que leurs enfants reçoivent une éducation ultraperformante, axée sur la compétitivité.
Selon des estimations officielles1, à Séoul, la capitale, on compte plus de 27 000 hagwon différents. Les plus réputés se trouvent dans le quartier huppé de Gangnam, au sud du fleuve Han. Parmi les hagwon les plus en vogue, on retrouve ceux qui proposent des cours de maths ou d’anglais, mais aussi de coréen ou de toute autre matière considérée comme primordiale pour obtenir son diplôme et décrocher une place à l’université (même si on peut en fait trouver des hagwon pour pratiquement tout). Les acteurs les plus importants du domaine, tels que CDI, POLY, Avalon, Pagoda ou YBM, génèrent des chiffres d’affaires colossaux qui font monter à 20 milliards de wons (soit plus de 16 milliards d’euros) le total des dépenses annuelles des ménages sud-coréens pour les hagwon de leurs enfants2 . C’est plus que le budget national de l’éducation du pays. Les professeurs star de certains hagwon peuvent également gagner des sommes astronomiques et devenir millionnaires. En outre, les instituts embauchent certains professeurs qui sont là pour représenter le visage du hagwon. Ce sont des enseignants souvent jeunes, au physique plaisant, afin de rappeler aux étudiants les idoles coréennes et les motiver par ce biais.
Certains peuvent aller jusqu’à étendre leurs cours à internet. Beaucoup de hagwon, ou même des professeurs, possèdent leurs propres sites web.Parfois, ils n’existent que par le biais de ce dernier : ce sont les hagwon en ligne. Ainsi, n’importe où et à n’importe quelle heure, les jeunes Sud-coréens peuvent accéder aux leçons et continuer à travailler, encore et encore. Pour illustrer cela, on peut prendre l’exemple de Monsieur Cha Gil-Yeon, professeur particulier de mathématiques qui diffuse ses cours sur internet. On l’y retrouve souvent déguisé pour rendre ses cours plus ludiques, le tout agrémenté d’une dose d’humour pour garder l’attention des étudiants. C’est une méthode peu orthodoxe si l’on compare avec la classique salle de cours, avec les élèves alignés derrière leurs tables, écoutant leurs professeurs exposer le cours. Ce premier modèle est plus divertissant, c’est là tout l’enjeu : rendre les études amusantes aux yeux des jeunes, concept assez inhabituel en Corée. De plus en plus de hagwon en ligne voient le jour et c’est tout aussi lucratif que leurs équivalents physiques. Dans le cas de Monsieur Cha, près de 300 000 élèves suivent régulièrement ses cours en ligne, payant 37 euros pour un ”forfait cours” de 20 heures3 (en comparaison, certains hagwon peuvent faire payer de 500 à 1000 euros par cours).
Etudier après l’école, ou comment les hagwon se sont rendus indispensables
L’importance des hagwon face à un système public dépassé
Pour les parents, les hagwon représentent une deuxième scolarité obligatoire. Non seulement car c’est un marqueur social et une source de fierté pour toute la famille, qui prouve ainsi que l’éducation de ses enfants est une priorité pour laquelle elle est prête à dépenser sans compter, mais aussi parce qu’elle juge que l’école publique n’est plus apte à préparer comme il faut les enfants à la vie qui les attend plus tard. Pour une large part des parents sud-coréens, l’école publique ne peut plus fournir un niveau d’éducation et de connaissances suffisant pour parvenir à entrer dans une bonne université, avec en poche un dossier aux notes irréprochables. L’hypercompétitivité qui imprègne le pays et qui a permis aux instituts privés de prospérer a également porté un coup préjudiciable à l’enseignement public. Des classes surchargées, des profs dépassés et pas suffisamment à l’écoute des enfants, l’inattention des étudiants qui dorment en classe, etc.
Tout cela constitue pour les parents un environnement qui n’est pas propice à l’épanouissement scolaire. La solution est alors de les envoyer étudier plus efficacement ailleurs, en plus leurs horaires scolaires, quitte à ce que cela entraîne pour les jeunes Sud-coréens des journées pouvant durer 15 heures. Sur ces 15 heures, environ 58% des étudiants passeraient entre deux et trois heures dans les hagwon tandis que 34% y seraient entre quatre et cinq heures. Mais surtoutt, 96% de ces jeunes se rendraient dans les hagwon même durant les vacances scolaires4. Cela exprime clairement le sentiment d’inquiétude qui découle des parents jusqu’aux enfants, et ce même quand ils pourraient utiliser leur temps libre à leur guise durant les vacances, choisissent pourtant de le passer à travailler leurs leçons. L’inquiétude de se retrouver submergé de travail et de prendre du retard dans les cours est réelle.
Comme évoqué plus haut, les hagwon proposent des classes avec des effectifs plus restreints, afin de permettre aux étudiants de se concentrer, de participer plus facilement et de bénéficier d’une aide personnalisée de la part du professeur. Les hagwon contribuent à l’exacerbation de la passion sud-coréenne pour l’éducation et confortent les jeunes étudiants dans l’optique que pour avoir une bonne vie plus tard, on n’a pas le temps de s’amuser : il faut étudier et étudier plus que les autres. Les instituts ont en général non pas un, mais deux à trois manuels scolaires d’avance sur l’école, ce qui fait qu’en classe dans la journée, les étudiants peuvent s’ennuyer, voire même s’endormir. Ce ne sont plus vraiment les cours dispensés par les professeurs du public qui assurent de bons résultats aux étudiants. Ce sont les cours des hagwon. Voilà donc pourquoi un enfant qui se contenterait de suivre uniquement les cours de l’école publique se retrouverait distancé par ses camarades et perdu dans les programmes. Parce qu’il est désormais devenu indispensable d’être en avance sur l’école.
Pourtant, le système public tente de se défendre face à la mainmise de plus en plus tenace des hagwon sur l’éducation. Bien entendu, l’un des principaux arguments avancés par le personnel des écoles publiques est le stress généré par les cours supplémentaires pour les jeunes et la pression qu’ils subissent, puisqu’ils doivent suivre une double scolarité. Cela couplé au manque de sommeil, à la rareté des activités périscolaires sportives ou créatives, peut avoir pour effet de rendre les élèves déprimés et éteints une fois en classe. Nombre de professeurs admettent le manque de place laissé à la créativité ou à l’expression individuelle pour les jeunes, et le regrettent. Dans un reportage d’Envoyé Spécial diffusé sur France 2, une enseignante déclarait qu’il était pour elle « vexant » de voir tous les parents précipiter leurs enfants vers des hagwon à la fin de la journée. « Dans les hagwon, ils ne font que gaver les enfants de connaissances », ajoute-t-elle. « A l’école, il existe la notion de relation humaine entre l’élève et le professeur, et ça c’est déterminant pour leur avenir ».
On est donc face à une usine à connaissances qui, à prix d’or, remplit la tête des futurs actifs de savoirs et leur assurent des résultats impeccables et un esprit de compétition affuté. De l’autre, il y a une école qui se retrouve étouffée par un système parallèle que propulse la majorité des parents et qui déplore un manque de liberté et de compréhension accordé aux enfants, autant que le manque flagrant de crédit apporté à l’apprentissage de la relation à l’autre et des rapports humains. Il semble donc difficile, voire impossible de stopper cette machine en marche. Même le gouvernement se retrouve face à de nombreuses difficultés concernant les hagwon. Car comment pourrait-on mettre fin à un modèle qui fait ses preuves ? Quand on se penche sur le classement mondial de la Corée du Sud en mathématiques, en lecture ou en science, elle se situetoujours dans le top 3 du classement. Si l’argument du coût exorbitant des hagwon est avancé, on se retrouve à nouveau face à un mur, principalement à cause des parents d’élèves.
Dans les années 1980, le gouvernement a voulu faire interdire les hagwon, mais les parents avait alors refusé. Plus récemment, il y a eu une tentative pour réguler le prix des inscriptions des instituts privés. Mais la Cour administrative de Séoul a jugé que chercher à contrôler les tarifs fixés par les hagwon serait contraire à la Constitution, qui garantit la liberté de l’éducation. Il a été argumenté entre autres que le système éducatif public échouait à fournir de meilleurs services que l’éducation privée, mais aussi que des tarifs devraient être fixés en fonction de l’état du marché et non par une ligne directrice du gouvernement. L’un des rares éléments qui a été approuvé en défaveur des hagwon fut la loi votée en Février 2014, qui vise à interdire l’enseignement de matières faisant partie d’un programme ultérieur par rapport au niveau de l’étudiant. La volonté d’imposer la fermeture des hagwon à 22 heures (pour le bien de la santé des jeunes étudiants, qui ne dorme qu’en moyenne cinq heures par nuit) a été elle aussi sans grand succès : le lobby des parents, main dans la main avec les hagwon, représente une barrière solide. Cependant, il s’agit de protéger le bien-être des jeunes générations. Comment cela pourrait-il se retrouver en opposition à la Constitution, et au-delà même, en opposition à la volonté des parents qui participent à la défense de cette industrie élitiste ?
Une poussée vers la réussite encouragée par les parents ?
Finalement, on remarque que ce sont surtout les parents qui poussent leurs enfants dans l’engrenage de l’apprentissage non-stop. Qu’est-ce qui motive cette passion des parents pour les études ? Si l’on revient quelques décennies en arrière, par exemple en 1960, la Corée du Sud avait un PIB similaire à celui du Cameroun. En un temps record, la Corée du Sud est passée d’un pays qui faisait face à de nombreuses difficultés, appauvri et dévasté par la guerre à l’une des puissances asiatiques et mondiales incontournables. Et un tel développement est en partie dû à une révolution dans le système éducatif. En 1945, le taux d’alphabétisation en Corée était de 22%. Il a dépassé les 90% dans les années 1980. Actuellement, 71% des jeunes Sud-coréens vont à l’université, contre 58% pour les autres pays de l’OCDE5. Mais une telle réussite a marqué les esprits des sud-coréens, et très particulièrement les générations actives sous la période Park Chung Hee (au pouvoir de 1962 jusqu’à son assassinat, en 1979), qui ont été mises au travail pour restaurer le pays,et ont acquis par la force des choses une obsession pour le travail acharné et la réussite sociale. Cela se traduit encore dans la société coréenne d’aujourd’hui par l’importance quasi vitale accordée à l’éducation. Les parents veulent à tout prix voir leur enfant s’élever et accéder à un avenir brillant, pour une vie meilleure que la leur.
Avoir un diplôme est synonyme de sécurité. Pour ne pas se retrouver dans une position financière et sociale difficile (voire peu valorisante), par peur de se retrouver désavantagé lors d’un entretien d’embauche face à un candidat plus diplômé, pour garantir la mobilité économique. Voilà tout ce que les parents peuvent voir dans l’obtention d’un bon diplôme provenant d’une bonne université. Sachant que lorsque la génération des parents sera en âge de partir « à la retraite », ce sera traditionnellement au tour des enfants de prendre soin de leurs géniteurs. Et pour cela, une situation confortable des enfants apparaît comme une bonne assurance pour des jours paisibles et confortables à l’avenir. Peut-on considérer ceci comme une part d’égoïsme ? Pousser son enfant à se jeter à corps perdu dans l’accumulation de connaissances pour plus tard sécuriser sa fin de vie et se préserver d’une maigre retraite —vécue dans des conditions très précaires — une situation qui touche malheureusement de nombreuses personnes en Corée du sud. Plus de la moitié des Sud-coréens de plus de 65 ans seraient considérés comme vivant dans la pauvreté. Certains sont même obligés de continuer à travailler pour survivre. Mais au-delà de l’égoïsme, il s’agit bel et bien d’une volonté de fer d’offrir un avenir brillantaux enfants au sein d’une élite formée par l’éducation, dans un environnement en proie à de constants changements économiques, technologiques, etc.
Et quand est-il pour ces enfants à qui on a répété depuis leur plus jeune âge que pour devenir quelqu’un d’important, quelqu’un qui a sa place dans les hautes sphères de la société, il fallait être le meilleur dans ses études ? Quand on interroge les jeunes, beaucoup sont d’accord sur le fait que leurs études sont leur meilleur atout pour espérer une ascension sociale (ou le maintien du statut pour ceux faisant partie de familles aisées). Ils sont prêts à travailler, même si le poids de la pression mise sur eux les accable. Ils n’ont pas vraiment le choix. Les métiers manuels (électricien, plombier, mécanicien, menuisier, artisans etc.…) sont très mal perçus en Corée du Sud, car ils n’offrent pas un bon salaire, une vie confortable ou la reconnaissance de ses pairs. Mieux vaut faire partie des classes plus élevées. Poussés en masse vers les universités, les autres formations professionnelles sont dramatiquement délaissées. Non pas qu’elles n’existent pas, mais la poursuite d’une vie réussie par les étudiants sud-coréens entre forcément en opposition avec ces métiers jugés peu qualifiés et peu gratifiants. Mieux vaut donc tout miser sur une enfance et une adolescence difficiles, sacrifiés à étudier sans relâche. Et les hagwon sont justement là pour ça.
Comment pourrait-on alors espérer un jour renverser la tendance ? Si la mainmise des gros instituts privés sur l’éducation est aujourd’hui incontestable, certaines personnes espèrent bien voir cela changer et tentent de trouver d’éventuelles alternatives. Le gouvernement semble avoir quelque peu les mains liées concernant la mise en place de mesures qui seraient défavorables aux hagwon. Le principal obstacle à des réformes sont les parents. Que faudrait-il alors faire pour espérer atténuer l’influence des hagwon dans l’éducation sud-coréenne ? On peut d’ores et déjà imaginer qu’une interdiction pure et simple des hagwon serait impossible et transformerait le marché de l’éducation en marché noir. Il faudrait alors se pencher vers une transition plus douce, progressive. Parmi des solutions possibles, il s’agirait de faire en sorte que le gouvernement utilise plus de moyens pour sensibiliser les parents pour les inciter à comparer les sommes qu’ils dépensent chaque mois pour les instituts de leurs enfants et les interroger sur l’efficacité de ces investissements. Tous les hagwon ne font pas partie des plus prestigieux, et parmi la fourmilière des instituts à Séoul, nombre d’entre eux comportent des zones d’ombres. Les encourager à comparer le prix et la qualité du service, à mettre en perspective les différents instituts qui leur sont proposés pourraient les rendre plus critiques concernant leurs choix. Une importante communication à ce sujet finira au bout d’un certain temps par toucher les consciences des parents et leur faire réaliser que ce n’est pas en payant plus qu’ils propulseront forcément leurs enfants dans les hautes sphères de la société. Il faut leur montrer qu’ils ont le choix et qu’ils doivent apprendre à raisonner comme au supermarché, en choisissant le meilleur produit possible pour un prix raisonnable. Si les parents n’étaient plus aveuglément du côté des hagwon, on peut alors penser que ces derniers se retrouveraient obligés de suivre la tendance et de s’adapter à la demande du marché.
Mais il ne suffirait pas de s’attaquer au problème de la relation parents/instituts privés. Il faudrait également intervenir dans la relation parents/école publique. Les parents n’accordent de toute évidence plus la même valeur à l’éducation qu’apporte le système public à leurs enfants. Tout comme les jeunes étudiants, leurs pères et mères ne jurent que par les résultats et comment cela leur permettra de devenir un homme d’affaires talentueux, un brillant docteur ou un avocat renommé (cela dépend des parents). Mais le facteur qu’ils oublient bien souvent de prendre en compte est ce que l’enseignante sud-coréenne déplorait plus haut dans son témoignage : l’apprentissage du vivre-ensemble et le développement de l’expression personnelle ainsi que de la créativité. On imagine bien que pour s’accorder au mieux aux exigences des parents, des universités, et de la société toute entière, l’école publique a dû faire en sorte elle aussi de se focaliser sur une seule chose : les notes et les examens.
Pour que l’école puisse apporter une éducation complète, moins stressante et plus enrichissante pour les jeunes générations, il faut redonner à la libre expression et aux loisirs leur juste place et donc éveiller également la conscience des parents à ce fait. Les parents pensent évidement à ce qu’il y a de mieux pour leurs enfants, mais l’empreinte du travail acharné et de l’excellence dans l’esprit des Sud-coréens est tenace, et la société actuelle ne mets pas en avant cet aspect si important de la liberté de sa jeunesse. Si cela venait à peu à peu changer, si on laissait davantage de temps et de choix à ces étudiants, alors peut-être que toute la société coréenne, qui est si focalisée par l’éducation, se retrouverait enfin plus apaisée. Mais il ne s’agit là que de suppositions et la situation en Corée est encore loin d’être suffisamment ouverte à un changement des modes d’éducation. Aujourd’hui, c’est encore la poursuite des résultats parfaits qui prime.
Le revers de la bonne note
La compétition acharnée
En Corée du Sud, pour passer les examens, il est indispensable de connaître par cœur les cours de l’école privée/publique, ainsi que ceux des instituts privés. Contrairement à la France où le système des dissertations et de la réflexion personnelle est très prisé, en Corée du Sud les QCM ont la priorité. Pouvoir mettre en réflexion son apprentissage est considéré comme l’une des clés majeures des études. Or pour les Sud-coréens, l’apprentissage ne passe que par le temps que les élèves passent devant leurs cahiers de cours. Avec un système tel que les QCM, il devient très difficile de développer et de démontrer son intellect et sa réflexion personnelle. Le tout est juste de connaître suffisamment ses cours pour pouvoir avoir une note qui soit supérieure à celle demandée et par la suite accéder aux études supérieures. En Corée, être le ou la meilleur(e) est la seule option possible pour pouvoir envisager un bel avenir. Pour préparer cet avenir, il est essentiel de sacrifier ses loisirs, besoins et envies de sociabilité par un apprentissage acharné. Rester des heures dans les hagwon sera mieux vu par une université ou un futur embaucheur que le fait d’être quelqu’un de très ouvert ou quelqu’un possédant une réflexion très pertinente.
Au lycée chaque amitié devient tendue avec l’arrivée des examens. Être le meilleur est attendu. Il est donc primordial de sacrifier ses amis. Comme l’a si bien cité Seungyoun Sally Noh dans son essai, « marche sur tes ennemis ou tu te feras marcher dessus » (« Step on your ennemies or you will be stepped on »), le lycée devient non plus un lieu où il fait plaisir d’apprendre, mais plutôt un lieu qui peut rappeler un champ de bataille. En Corée, le système de classement par école et par classe est très répandu. Les élèves peuvent donc connaître leur niveau et celui de leurs camarades et rectifier ou améliorer si besoin (ce qui est souvent toujours le cas). Mais il faut savoir que ce système pose un gros problème autant pour les élèves tout en haut du classement que pour ceux tout en bas. Les élèves tout en bas vont être stigmatisés et très souvent moqués pour leurs notes insuffisantes pour la société. Et les élèves tout en haut, vont s à l’inverse ne plus pouvoir souffler ou profiter de leur réussite. Ils seront sans cesse à la recherche du meilleur et auront toujours la crainte de se retrouver dans le bas du classement. Il y a de chaque côté toujours la crainte de tomber encore plus bas et pour cela, les étudiants perdent leur faculté à réfléchir personnellement au détriment une pensée préfabriquée.
Malheureusement, avoir des bonnes notes ne suffit pas forcément à atteindre cet objectif. En plus des notes, il est demandé aux étudiants d’être assidus, de donner de soi-même en négligeant les loisirs, la sociabilité et bien sûr d’avoir de l’argent. Ce dernier point ne concerne pas forcément les étudiants car jusqu’au lycée, travailler en dehors de l’école est interdit et très mal vu. Seuls les parents peuvent être les acteurs principaux de ce trafic enfant/élève-hagwon. Pouvoir subvenir aux demandes des professeurs et de la société dans le long terme implique d’affirmer que l’avenir de « notre » enfant est la première priorité. Néanmoins, en raison du coût élevé que représentent les hagwon, beaucoup de familles contractent des prêts qu’ils n’auront beaucoup de peine à rembourser. Ils se retrouvent endettés et l’enfant ne peut qu’arrêter de suivre les cours dans l’institut privé.
Mais tel un cercle vicieux, ne pas pouvoir aller dans un hagwon peut être cause de discrimination et de harcèlement. Dans la société coréenne d’aujourd’hui, suivre les cours d’un hagwon n’est non plus un privilège, mais une nécessité. Un élève suit entre un hagwon six cours par semaine dns un hagwon. Que cela soit en mathématique, anglais ou autres, ces cours proposent aux élèves d’apprendre avec environ deux ou trois ans d’avance sur les cours dispensés dans les écoles privées/publiques. Les examens se basant pour la plupart sur les cours distribués en institut privé, les élèves ne pouvant avoir accès à ce type d’enseignement se retrouve condamnés à ne plus pouvoir suivre tout au long de l’année. Contrairement à la France où redoubler n’est pas forcément une tare, redoubler en Corée du Sud est très mal vu. Il n’est pas bon d’avouer son échec, ce qui force les élèves à arrêter le lycée pour repasser leur « baccalauréat » (Suneung 수능) en candidat libre. Or, si un étudiant redouble, cela pourra lui causer de nombreux problèmes à l’avenir. En Corée du Sud, quand on établit son curriculum vitae, il faut nécessairement tout inscrire. L’employeur pourra donc connaître les notes obtenues aux examens, si une personne a redoublé ou non, etc.
L’impact des études a un très gros poids sur les étudiants et leur mentalité. En dehors de les priver de leur faculté de réflexion personnelle, il va aussi peser sur leurs comportements et sur leurs sentiments. L’étudiant coréen doit participer à la vie étudiante en respectant toutes les règles qui lui sont données. Suivre les cours des instituts privés est l’une d’elles. Un enfant qui n’arrive pas à suivre ou qui ne le veut pas sera considéré comme néfaste et inutile à une société qui tourne grâce à l’économie et au don de soi. Quand on regarde les chiffres liés au suicide dans le monde, on constate que les adolescents coréens sont les premiers. La cause première n’est pas nécessairement l’éducation. Il faut aussi prendre en compte le suivi et le contexte personnel de l’enfant, mais en regardant l’actualité coréenne on peut déterminer que l’éducation poussée est l’un des facteurs premiers de suicide. Certains parents se retrouvent à avoir une peur réelle pour leurs enfants et vont jusqu’à envoyer ceux-ci étudier à l’étranger. Malgré le coût des études en dehors de la Corée, notamment aux Etats-Unis, certains parents préfèrent payer pour cette éducation « plus lâche » plutôt que laisser leurs enfants en Corée subir la pression et les conséquences que pouvant infliger cet apprentissage acharné.
Il faut aussi noter les châtiments corporels qui sont infligés au sein de ces instituts. On retrouve de nombreux cas où un étudiant, n’ayant pas eu les notes considérées acceptables par l’enseignant de hagwon, a été battu. Malgré la loi en vigueur pour protéger les enfants de tels actes, il est encore très difficile de contrôler les hagwon en partie en raison de leur grand nombre. Certains parents se rendent aveugles vis-à-vis de tels actes qu’ils considèrent nécessaires au bien-être et au futur de leur enfant. De plus, l’incapacité de certains professeurs va aussi faire pencher la balance du mauvais côté. Là, où un étudiant va s’attendre à être guidé et encouragé, certains enseignants vont les oppresser, punir les erreurs et les forcer à aller toujours plus vite.
Des étudiants poussés toujours plus loin : pour quels objectifs ?
Inscrire un enfant dans un institut prive permet à celui-ci de mieux comprendre ses leçons, d’aller plus vite et de manière plus approfondie. Cela lui permet par la suite de réussir ses examens et d’obtenir de très bonnes notes lui offrant la possibilité d’intégrer une très bonne université. Le classement des meilleures universités de Corée place Seoul National University, Korea University et Yonsei University (SKY) en haut du classement. Quand on regarde les hommes politiques, les avocats ou même les acteurs, on constate que beaucoup sont ssortis d’une de ces trois universités. Intégrer l’élite sociale en Corée du Sud passe énormément par le choix que l’on fait dans la sélection de son école. Si l’on veut devenir quelqu’un dans la société coréenne actuelle, il est décisif de choisir le meilleur. Tous les étudiants coréens sont poussés à moment ou un autre à atteindre cet objectif pour l’accès au « meilleur ». Meilleure université, meilleure entreprise, meilleur poste et donc meilleur hagwon. Par cette volonté de rejoindre l’élite, on peut retrouver celle du bonheur. Devenir plus heureux en étant mieux placé. Cela peut s’expliquer par le taux de pauvreté qui est encore très élevé.
Comme évoqué précédemment, on peut voir de nombreuses personnes âgées travaillant très tard dans la rue à la quête de cannettes de soda vides ou encore ses « grands-mères » (할머니) qui distribuent des tracts pour gagner quelques sous. En considérant cette pauvreté, on peut e comprendre pourquoi on demande tant à la jeunesse d’aujourd’hui. Si celle-ci peut actuellement profiter du développement économique de la Corée, c’est en grande partie dû au sacrifice effectué par leurs parents et grand-parents. Forcer ses enfants depuis le plus jeune âge à étudier et à persévérer démontre la volonté de la famille à élever son enfant dans de meilleures conditions que celles de la génération précédente. Suivant le modèle néo-confucéen, l’enfant est celui qui doit s’occuper de sa famille à l’avenir. La Corée du Sud ne possédant pas encore un système de retraite bien établi), les enfants sont ceux qui doivent fournir logement, argent et autres aux parents. On peut constater que même si le temps passe, cette situation de dominance parentale ne change pas et l’enfant reste toujours contrôlé par les décisions que prennent les parents. Les mots de l’auteur Yi Kwang-Su, écris en 1917, peuvent nous faire comprendre cette domination : « Tant que les parents vivent, les enfants n’ont aucune liberté et sont traités, tels des esclaves ou du bétail, comme des sujets d’un seigneur féodal ». On comprend que passer par les hagwon est inévitable. L’école en elle-même ne permet pas de s’élever suffisamment haut pour accéder aux meilleures notes. S’inscrire aux cours d’instituts privés apparaît comme la garantie d’aboutir à une meilleure réussite.
Conclusion
A travers la description de ce phénomène des hagwon, de leur utilité autant pour les parents, les enfants et la société, ainsi que des conséquences qu’ils représentent, on a pu découvrir que le réseau des hagwon-instituts privés est très implanté en Corée du Sud. Le pays se développe autour de ce réseau qui forge des citoyens parfaits pour conduire la Corée vers une plus grand ouverture économique et sociale. Les hagwon engrangent énormément d’argent et permettent aux étudiants d’avancer plus vite dans leurs études, mais aussi aux familles d’imposer leur classe sociale et leur revenu. Tous les types de hagwon existent, mais plus celui-ci est renommé, plus l’étudiant aura la chance d’accéder à une bonne place dans la société. On peut comprendre à travers le comportement des parents sur l’éducation des enfants que les hagwon et l’école font partie intégrante d’une société qui est focalisée sur le groupe, mais qui impose une compétitivité acharnée. En apprenant dès l’enfance à se battre dans ses études, l’enfant développe les mêmes capacités au sein d’une entreprise. Il est donc naturel de penser que ces hagwon et cette éducation forgent ceux qui représentent ou représenteront la future élite.
Atteindre le meilleur est très présent dans la société actuelle, que cela soit en France, en Corée du Sud ou dans d’autres pays. Cette volonté d’atteindre le meilleur pour soi est celle qui induit toutes personnes à s’investir plus durement dans la société. Les hagwon forgent les étudiants vers une élite prédéfinie. Or, cette quête ne se finie pas toujours comme imaginé à cause de la forte compétitivité, de l’acharnement, de la pression pesant sur les étudiants ou encore du manque de conviction. Par ailleurs, les étudiants forgés dans le même « moule » perdent leur identité et dans cette course vers la perfection et l’élévation sociale, il ne reste que peu de place à l’expression individuelle et à la créativité. Or, il est très difficile même en étant dans l’une des meilleures écoles de vraiment s’élever. En raison de cette compétitivité accrue, les étudiants s’acharnent, mais très peu arrivent à accéder au niveau supérieur. Il en est de même lorsqu’ils ce qu’ils deviennent des membres à part de la société.
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