L’évolution de la ville de Kobe entre 1863 et 1937
Charlotte BORROS-SEDAT
La source utilisée afin de réaliser ce travail est composée des recueils The Chronicle & Directory sur la présence étrangère en Asie. Les recueils s’étendent de 1863 à 1934, nous laissant beaucoup de documents et de données sur les différents pays et villes d’Asie et l’occupation qu’elles ont subies. Ces recueils ont été créés à la suite de l’absence d’ouvrage contenant des documents officiels importants en Chine. Les auteurs se sont donc décidés à répertorier tous les documents officiels qui comprenaient les échanges entre l’Occident et l’Asie. Cependant, je pense que les auteurs en ont profité pour répertorier également toutes les entreprises ainsi que les missionnaires afin de quantifier le nombre d’étrangers dans les villes qui abritaient des populations occidentales. Ces ouvrages ont permis de garder une trace du passage des colonisateurs mais aussi de voir quel type de population immigrait et quel type d’entreprise se développait. Ainsi cela pouvait servir pour voir quel secteur était plus ou moins développé selon la ville comportant des Occidentaux. Les contenus de ces recueils étaient destinés au public présent dans les villes mentionnées, mais aussi à la population vivant dans le reste du monde. Ces recueils pouvaient également servir les personnels administratifs et les hautes sphères de l’État comme le ministère des affaires étrangères par exemple. Après tout, ces recueils offraient des données précieuses que ce soit pour ceux qui étudiaient la colonisation ou tout simplement pour en savoir plus sur les différents pays et la colonisation, et peut être qu’ils permettaient à d’autres entrepreneurs de juger la concurrence et de voir s’il était utile ou non de s’installer dans ce pays ou cette ville.
Pour dire comment les volumes sont structurés, je parlerai d’abord du sommaire. Celui- ci est classé par ordre alphabétique des villes en commençant par donner les descriptions et les statistiques de la ville, puis ensuite l’annuaire des résidents étrangers. Puis petit à petit les éditeurs ont créé un sommaire plus élaboré avec d’abord les agences par pays, puis les agences par ordre alphabétique, puis par annonceurs, puis les traités et parfois on peut même y trouver de la publicité. Ces volumes sont structurés d’abord par pays puis par ville, puis une introduction de la ville est présentée avec parfois une carte, puis les hautes instances présente dans la ville allant du plus important au moins important, puis le directory qui compile toutes les entreprises et les agents présents dans la ville, puis les résidents et en terminant par les missionnaires. Au début des recueils, les sous-catégories étaient bien présentes comme celle des « insurances » mais petit à petit elles ont été mélangées avec d’autres catégories comme avec les personnes. Et d’autres catégories ont fait leurs apparitions.
Pour la ville de Kobe, on donne la description de la ville ainsi que son emplacement et à quelles autres villes elle est liée. De temps en temps une carte de la ville est donnée. De plus on y trouve les statistiques sur les importations et exportations, ainsi que les produits les plus exportés et vers quels pays. L’ouvrage établit aussi les statistiques de la population en mettant en avant le nombre d’étrangers présents dans les villes de Kobe et de Hyōgo même si dans les derniers volumes, ils cessent de donner les détails. Dans les premiers recueils, Kobe n’apparaît que parce que la ville est rattachée à Hyōgo, une ville voisine plus importante dans les années 1874. Par ailleurs dans les premiers recueils, il est inutile de chercher la ville de Kobe dans le sommaire. Il faut chercher Hiogo. Et comme ce sont de vieux recueils, l’orthographe est différente. De plus, on y trouve des indications sur la géographie, quel type de végétation, comment la ville évolue ainsi que l’évolution de la région.
Kobe est le port étranger adjacent à la ville de Hyōgo qui fut ouvert au commerce en 1868 à la suite du traité d’amitié nippo-américain de Kanagawa signé en 1854 qui força le Japon à s’ouvrir au commerce avec les Occidentaux. Le port est situé à la porte de la mer intérieure. Il offre un bon ancrage pour les navires de presque n’importe quelle taille. La ville n’est pas très loin d’Osaka et est reliée à celle-ci par une voie ferrée. Le fait que la ville soit reliée par ces rails a permis de centraliser les échanges au port d’embarquement. Les exportations principales sont surtout le thé, le camphre, le cuivre et la cire végétale. En 1883 le port importe plus qu’il n’exporte, alors qu’en 1882 le port exportait presque autant qu’il importait. Ce qui montre qu’en un an le commerce s’est fait plus intense. La construction navale est un aspect important du port et chaque année des steamers (bateaux à vapeur) en fer et en bois y sont construits en bon nombre.
La population d’étrangers en 1883 dans la ville de Hyōgo est de 986 personnes sur un total 54 421 habitants. Cependant plus de la moitié des étrangers vivant dans la ville sont d’origine chinoise. La ville dispose également d’un journal quotidien appelé le Hyōgo news qui est publié dans le port. Dès 1886 on remarque que les concessions étrangères sont bien aménagées et les rues de la ville sont larges, propres et éclairées au gaz. Kobe devient le modèle des villes du Japon. Et dès 1886, nous voyons apparaitre des missionnaires protestants et catholiques dans la ville bien qu’il existât déjà une église protestante avant l’arrivée des colons. La ville de Kobe compte 16 000 habitants dont 913 étrangers avec toujours une majorité de Chinois et la ville de Hyōgo, quant à elle, compte 45 000 habitants. En 1888 la population des deux villes réunies est de 101 231 habitants et le nombre d’étrangers a augmenté passant à 1236 mais toujours avec une majorité de Chinois suivit des Anglais, des Allemands et enfin des Américains. Les maisons étrangères sont toujours bien construites et se situent à trois minutes à pied de la gare Sannomiya.
Kobe est reliée à Osaka par la voie de chemin de fer. C’est une ligne qui s’étend jusqu’à Kyoto mais qui depuis a été étendue jusqu’à Nagoya puis vers Yokohama et enfin Tokyo. La ligne est appelée le Tokaido Railway et permet un meilleur acheminement des marchandises ou des voyageurs. La ligne fut officiellement ouverte en juillet 1889. Les marchandises que la ville exporte le plus sont le thé, le camphre, le cuivre, la cire végétale et le riz. Cependant l’export reste toujours plus faible que l’import.
Kobe, dès 1889, semble plus développée touristiquement que la ville de Hyōgo qui possède moins de magasins et moins d’activités que sa voisine. A Kobe, nous pouvons y trouver le temple Shin Koji avec son grand Bouddha en bronze ainsi qu’un monument dédié à un héros japonais Kiyomori qui aurait été érigé en 1286. Donnant à la ville une valeur historique et attirante pour les touristes. Cependant la ville voit aussi la concurrence journalistique s’ouvrir avec l’apparition d’un nouveau journal Kobe Herald qui tend à prouver que la ville continue son évolution. En 1898, une église anglaise fait son apparition ce qui montre que le flux de population occidentale ne cesse de croître ainsi que les missions religieuses.
En décembre 1895, la population est passée à 161 406 comprenant 2000 étrangers en 1899. Mais encore une fois la moitié est chinoise, bien que la population occidentale augmente peu à peu. Quant à la population de Hyōgo, celle-ci a commencé à baisser, stagnant presque. De plus l’intérêt des étrangers pour la ville de Kobe semble grandir car, dans les recueils, plus on avance dans le temps plus les détails historiques se font nombreux et détaillés. Par ailleurs, les comptes d’import- export se révèlent de plus en plus détaillés par la suite. En 1899 la ville de Hyōgo fusionne avec Kobe pour finalement prendre le nom de Kobe City. En 1906 le gouvernement a donné son accord pour le plan d’amélioration du port, ce qui a impliqué une dépense de 32 000 000 de yen. Cette amélioration doit permettre de faciliter le chargement et le déchargement des bateaux.
Sur l’une des collines entourant la ville, la colline Rokkosan, les résidences étrangères se font nombreuses et l’endroit devient une station estivale réputée. Le sommet de la colline fut préparé afin de faciliter les activités comme la randonnée et les rendre plus agréable. Les habitants peuvent également y pratiquer du golf. Au fil des années, les échanges n’ont fait qu’augmenter comme la population de Kobe. En 1916, elle était de 529 865 habitants comprenant 3 993 étrangers et dont les deux tiers étaient chinois. En 1910 le lit de la rivière Minatogawa a été remis en état et le service de tramway a été étendu ce qui a entraîné la disparition de l’ancienne frontière entre Kobe et Hyōgo. En 1934 la ville de Kobe s’est développée, a procédé à de nombreux aménagements de son port, construit des hôtels et diversifié les activités sur la colline Rokkosan. La ville est devenue suffisamment importante pour que l’Etat impose les travaux concernant le port.
Sur la colline Rokkosan, les maisons étrangères étaient nombreuses mais en 1934, le recueil stipule que les étrangers sont toujours là mais que les habitants japonais se font plus nombreux. Des tramways électriques ont été construits ainsi qu’une nouvelle grande route. De plus les Japonais ont construit des immeubles de bureaux de 5 ou 6 étages qui ont servi à l’amélioration de la ville. La ville possède aussi beaucoup de clubs différents ainsi que de nombreuses églises, et les églises japonaises de différentes religions sont de plus nombreuses. Les activités culturelles se font également de plus en plus nombreuses, aussi nous retrouvons un cinématographe, un théâtre etc… La ville enregistre à la fin de 1931 plus de 820 000 habitants mais le nombre d’étrangers n’est pas indiqué dans le recueil. Et en 1935 la ville compte plus de 900 000 habitants et possède le plus grand nombre de résidents étrangers de tout le Japon.
Les rédacteurs indiquent à plusieurs reprises que le port de Kobe peut accueillir toutes sortes de bateaux. Et la connaissance géographique de la zone de Kobe ainsi que le fait qu’ils parlent du bon fonctionnement des chemins de fer me fait penser qu’ils n’excluaient pas les aspects militaires. Après tout le Japon avait déjà mené des guerres en 1894-95 contre la Chine puis en 1904-05 contre la Russie. Le Japon était donc toujours en plein développement militaire. Et participer à la création de ces chemins de fer devait laisser penser aux Occidentaux qu’ils pourraient peut-être mieux contrôler le Japon via ces nouvelles installations. De plus au fil des lectures, on sent clairement l’évolution de la ville. Et plus on avance dans le temps, plus son développement est rapide, preuve d’un enrichissement de la ville, mais aussi que le savoir-faire étranger est bien assimilé par les Japonais. Le développement conséquent des différentes catégories d’églises montre un intérêt pour ses religions et aussi que le peuple japonais est capable d’absorber une autre vision des choses. Cela peut aussi montrer que les étrangers ainsi que les entreprises étaient bien installés dans la ville.
Dans la ville de Kobe on peut remarquer qu’il n’y a aucune entreprise ou une présence étrangère vraiment marquée en 1863. A partir de 1874, des signes de présence occidentale se manifestent, comme la présence de clergé ou encore d’entreprises intermédiaires. Mais elles ne sont guère nombreuses. A partir de ce moment la présence occidentale ne va cesser de se développer, apportant de nouvelles technologies sur le territoire, favorisant son développement. En 1901, on constate une énorme augmentation de la présence étrangère à travers les entreprises mais aussi que les Occidentaux commencent à reconstituer un environnement plus familier, développant leur presse, leurs divertissements ainsi que leurs cultes. On remarque l’apparition d’un plus grand nombre d’églises de diverses croyances. Avec ces églises, une éducation religieuse se met en place. Le gouvernement japonais voit l’éducation religieuse comme un pilier pour ces plans futurs. L’éducation religieuse occidentale est un bon moyen d’unir le peuple sous une seule pensée ainsi qu’un bon moyen de résister à l’influence occidentale. En 1901 les mouvements religieux furent un peu plus importants qu’en 1934. Quelques années avant 1934, le Japon connaît une montée de l’extrême droite qui favorise le nationalisme et des rêves d’expansion. Des crises surviennent et les secteurs navals sont touchés. De ce fait les entreprises de construction se font plus rares à Kobe.
Les compagnies présentes en 1874 sont principalement des marchands. On y retrouve un tailleur ainsi que des groupes de missionnaires. Dans les années qui suivent, la ville se développe rapidement et de nombreuses entreprises sont venues s’y installer. On y retrouve des entreprises de constructions, de pétroles etc… On remarque aussi la présence de personnes qualifiées dans le traitement des eaux, ainsi que des coiffeurs, horlogers, bars etc… Ce qui montre que d’un côté la ville est en pleine construction et de l’autre, les Occidentaux installent leur confort afin de retrouver un semblant de mode de vie occidentale. En 1934, toutes les structures ont quasiment doublé de volume. La ville de Kobe, en termes d’entreprises étrangères, est principalement axée sur l’industrie et le développement de la ville, même si l’on peut y trouver des restaurants, parfumerie etc…
De 1874 à 1937, la ville de Kobe s’est assez vite développée malgré le contexte parfois un peu tendu dû à divers mouvements politiques et sociaux que le Japon a connus. La présence étrangère au Japon ne s’est pas faite doucement. Un traité imposé par les armes l’a forcé à s’ouvrir et ce fut la ville de Kobe qui s’ouvrit en premier. Les Occidentaux ont contribué à moderniser la ville en créant des lignes de chemins de fer, des usines ainsi que des constructions navales. Le port a connu beaucoup de travaux permettant une utilisation plus facile. Les missionnaires ont tout le temps été présents, amenant avec eux leur culte et l’éducation religieuse. C’est pendant la présence étrangère que le Japon a développé l’éducation de sa population en prenant justement exemple sur ces courants religieux. Afin de ne pas se faire coloniser par les Occidentaux, il a accepté de coopérer pensant qu’ainsi il serait capable d’éviter celle-ci. La ville de Kobe est le reflet de ce qu’a été la présence étrangère sur l’île.
Elle fut un modèle de ville et fut celle dont la population étrangère était la plus importante dans tout le Japon. Avec et grâce à eux, la cuisine, les vêtements et les divertissements occidentaux trouvèrent leur place dans la culture japonaise faisant de Kobe l’une des premières villes à adopter la culture étrangère.