L’influence des pays étrangers dans l’évolution et le développement de la ville de Séoul de 1885 à 1937
Marjolaine SILLAMY-COQUELLE
Les recueils intitulés The chronicle & directory recensent les populations, les entreprises et les missions religieuses étrangères dans plusieurs pays d’Asie comme la Chine, le Japon ou la Corée.
Ces ouvrages se présentent ainsi : pour chaque année, une description de la ville était rédigée et un annuaire répertoriait, par liste alphabétique, tous les résidents étrangers présents dans la ville, les noms et les adresses d’établissements et d’entreprises, avec les noms des personnes qui y travaillaient comme les marchands, les missionnaires et ceux qui travaillaient aux consulats et dans les ministères. Ces ouvrages étaient destinés à montrer l’influence des pays étrangers, en particulier des pays occidentaux et du Japon, et de son évolution dans différentes villes asiatiques. Le public visé de ces recueils étaient les Etats étrangers ayant des entreprises dans ces villes. L’ensemble des données récoltées constituait une précieuse aide dans la prise de décision en matière de politique publique. Cela permettait de connaître la population d’étrangers et leur pays d’origine, dans chaque ville citée, en fournissant les informations sur les caractéristiques de la population. Dans cette note de synthèse, nous allons nous concentrer sur la capitale de la Corée du Sud, la ville de Séoul, de l’année 1885 à l’année 1937.
En 1885, la capitale de la Corée (que l’on pouvait aussi appeler Chosen) s’appelait Han-yang, qui peut être traduit par « la forteresse des Han », mieux connue auprès des étrangers sous le nom de Seoul. Située vers le nord du centre de la province du Kiung-kei, Seoul était à environ cinq kilomètres de la rivière Han.
Sur le plan architectural et géographique, la ville était entourée de murs crénelés, qui longeaient tout le sommet de la colline du sud de la capitale. Ces murs crénelés qui entouraient la ville ont été enlevés en 1919, à l’exception de ceux situés dans les collines où aucune route n’existait. En 1934, les murs qui entourent le palais et qui vont jusqu’aux collines, ont été endommagés et ont peu été conservés. Ces murs et les deux grandes portes du palais, celle du sud Nandaimon et celle de l’est Todaimon, ont été préservés comme monuments. Une grande rue divisait en deux parts égales la ville d’ouest en est. La moitié nord était construite avec des murs fortifiés, à l’intérieur desquels se trouvaient le palais du roi et les bâtiments les plus importants. Côté nord, l’enceinte royale était délimitée par un mur de granit, et côté sud, la délimitation du palais était faite par trois grandes portes en bois. Devant le Thoi-Hwa-Mun, la porte centrale et principale de l’enceinte royale, se trouvait une rue d’environ quinze mètres de longueur. Cette rue était perpendiculaire à la grande rue qui séparait le côté nord et le côté sud de la ville. Ce croisement divisait donc les quartiers ouest et les quartiers est de la capitale. A l’intersection de celles-ci, se trouvait le pavillon Chong-kak, lieu géographique considéré comme le centre-ville de Han-yang. En 1934, le quartier autour de cette rue, qui se nommait alors ‘le shoro moderne’, était considéré comme étant la vieille ville ; il est toujours resté le centre-ville de la capitale, avec la création d’une route supplémentaire vers le sud et le sud-ouest menant jusqu’à Nandaimon. Toutes les routes ont été élargies et améliorées, comme le Nandaimon-dori qui était une route de presque 37 mètres de largeur.
Le style d’architecture des palais était celui du yamen chinois, un style d’architecture qui se faisait pour la construction d’un bureau ou d’une résidence d’un fonctionnaire de l’Empire chinois. Le Un-Hyon-Kyung, que les étrangers appelaient le « Cloud mound palace », était situé du côté nord de la ville. C’était l’accès le mieux protégé de Seoul grâce à ses murs en pierres solides. Dans la partie centrale de la ville, il y avait de grands entrepôts à l’intérieur desquels se trouvaient de petits magasins. Les boutiques de la capitale étaient petites et peu attrayantes et ne contenaient aucun article de luxe.
En 1934, l’administration coloniale japonaise se faisait de plus en plus ressentir avec de nombreux changements opérés dans la ville, comme les changements de noms, en commençant par celui de la ville : la ville de Han-yang était mieux connue par les étrangers sous le nom de Keijo (japonais) ou de Séoul (le terme natif de la capitale). Séoul a donc eu un nom purement japonais à partir de cette année-là. La région où se situe Séoul, qui s’appelait Kiung-kei, devint Keiki (Kyeng-ki). Au niveau du côté nord et à environ 50 km de l’embouchure de la rivière Han, la banlieue de Ryuzan était devenue la limite sud de la ville.
En 1885, la population de Séoul résidait dans des maisons faisant environ deux mètres et demi de hauteur et construites en pierre ou en terre avec des toits faits de tuiles. Ces maisons, au nombre de 30 723, hébergeaient une population estimée entre 150 000 à 240 000 personnes.
De 1885 à 1933, la population globale de Séoul évolue constamment. Seule la population japonaise est répertoriée chaque année. Les résidents occidentaux sont listés pour la première fois en 1930 dans leur totalité. Ce nombre est ensuite détaillé dans les années 1932 et 1933.
La population chinoise n’est également pas répertoriée en détail en 1919 et 1924. Cependant, les rapports de ces années stipulent que la majorité des « populations autres » est constituée de résidents chinois.
La largeur des rues principales était considérablement réduite par la présence de cabanes en bois grossièrement construites, utilisées pour des ateliers ou pour d’autres raisons professionnelles, et qui donnaient à la rue une apparence pauvre et sordide. Cette apparence défavorisée et miséreuse de la ville de Han-yang était accentuée par la saleté, avec une accumulation de tas d’ordures dans les rues.
En 1888, le descriptif de la ville rapporte que l’intérieur des maisons était propre, comme celui des maisons japonaises, ce qui montre une évolution de l’hygiène de vie de la population coréenne. De grands changements ont été faits en 1895 dans l’apparence et dans l’administration de la ville, une évolution due à l’administration coloniale japonaise qui a été établie en 1894.
Les recueils The chronicle & directory montrent qu’en 1898, la propreté des rues s’est améliorée : Toutes les rues ne sont pas propres, mais les rues principales le sont. Le consul britannique a noté dans son rapport de 1896 que le peuple coréen avait progressivement appris les avantages d’avoir de bonnes routes et un environnement propre. Un spacieux marché a été érigé dans une des parties les plus animées de la ville et des dispositions ont été prises pour établir deux ou trois autres marchés convenables. Un crédit de 50.000$ a été accordé au Finance Department afin d’améliorer et maintenir les routes. Une somme semblable a été utilisée pour le drainage des routes en 1897.
Sur le plan économique, le groupe bancaire The Hongkong and Shanghai Banking Corporation avait nommé un agent à Séoul et avait acheté un site pour des bureaux en 1901.
C’est en 1934 que la ville de Séoul est décrite pour la première fois comme une ville moderne, qui s’est élargie, avec une nouvelle délimitation dans le sud allant jusqu’à la rivière Han sur plus de 3 kilomètres au-delà de Nandaimon. Le côté sud de la ville est devenu un quartier animé, avec la gare de Séoul et la création d’un hôpital missionnaire. En 1934, la rue principale de la ville est le grand Taihei-dori, allant du Nandaimon vers le nord des bâtiments palatiaux du gouvernement général, situés en face de l’ancien palais impérial. Cette voie coupe la rue Shoro, quelque peu à l’ouest du vieux centre. Au sud de la rue Shoro, une autre grande et large voie est parallèle à celle-ci : la rue Kogane-machi, qui à l’est mène devant le bureau de la ville sur le cours du Taihei-dori. A mi-chemin de la rue Kogane-machi et le long de la porte côté sud du Nandaimon-dori se trouve une belle place avec le Dai Ichi Ginko, nom de la poste centrale, mais également le grand magasin Mitsukoshi et d’autres bâtiments importants. Dans le centre commercial Mitsukoshi se trouvent d’importantes firmes japonaises.
Dans cette partie centrale de la ville, les routes, les bâtiments et les magasins sont semblables à ceux trouvés dans les grandes villes au Japon. De nombreuses autres routes ont été construites et élargies dans les différents quartiers de la ville, en particulier à proximité de la nouvelle université impériale, inaugurée en mai 1926 au nord-est de Séoul. Dans la colline de Nansan, colline qui domine la ville dans le sud de la capitale, les Japonais ont dressé un grand sanctuaire : le sanctuaire Chosen, où Amaterasu–ōmikami, l’ancêtre divin de la famille impériale japonaise et l’empereur Meiji, fondateur du Japon moderne, sont vénérés comme des divinités.
Pour les transports en commun, c’est en 1900 qu’un chemin de fer électrique est construit, circulant sur cinq kilomètres dans les rues principales de Séoul, alors qu’un autre chemin de fer était en construction pour relier la ville de Chemulpo à Séoul. Un an plus tard, le chemin de fer de Séoul a été étendu jusqu’à Riong-san et le chemin de fer qui relie Chemulpo à Séoul a été construit. En 1903, une ligne qui connecterait la capitale et Fusan était sur le point de débuter et deux années plus tard, en 1905, la construction de cette ligne était terminée. La ligne de chemin de fer de la capitale qui a été étendue jusqu’à Riong-san en 1901, a également été étendue jusqu’à Mokpo en 1908. Le chemin de fer construit en 1900 qui circulait dans la capitale, s‘est agrandi et fait un peu plus de onze kilomètres en 1930. En 1934, un tramway d’une distance d’un peu moins de 34 km a été conçu dans et autour de la ville de Séoul, incluant les banlieux de Ryuza et de Mapo.
Grâce aux Chronicle & directory, nous avons la description de la ville de Séoul avec sa position géographique, son architecture, sa démographie et ses infrastructures de transport. Ces courtes descriptions nous montrent les changements au fil du temps, avec les évolutions de la capitale d’année en année, que ce soit l’expansion de la ville, l’augmentation de sa population ou l’amélioration de la vie des habitants avec la construction de nouveaux bâtiments et de nouveaux aménagements routiers. Ces descriptions de Séoul nous amènent à montrer que l’influence étrangère a permis à la capitale de se développer et à la population de vivre dans de meilleures conditions.
La population étrangère dans Séoul est pour la première fois recensée en 1887 dans The chronicle & directory. Cette présence minime va rester identique pendant trois années consécutives. Puis elle va peu à peu augmenter, et c’est à partir de 1920 que la présence étrangère devient Significative, avec une équivalence de celle de la ville japonaise Osaka. C’est dix ans plus tard, en 1930, que le nombre d’étrangers est noté comme le plus important en Corée de l’année 1863 jusqu’à l’année 1937. Ces chiffres ont été obtenus à partir de l’annuaire répertorié dans ces livres. Cependant, nous pouvons voir que le nombre d’étrangers indiqué dans la description de la ville et dans l’annuaire fournis dans ces recueils ne sont pas les mêmes : dans les informations trouvées dans les descriptifs de la capitale, la présence étrangère est chiffrée plus importante en 1933 qu’en 1930.
Nous pouvons aussi voir que les données écrites dans la description de la ville et celles du répertoire sont différentes, en observant la présence étrangère et sa nature en 1901 et 1934 : le nombre d’étrangers inscrits dans l’annuaire est plus important en 1901 qu’en 1934. La présence étrangère à Hanyang est de 109 personnes, dont 66 membres du clergé, 6 personnes dans le domaine de l’éducation, une personne seulement dans le domaine de la presse, 6 dans la production, 10 dans les transports, 4 dans les services gouvernementaux autochtones et 16 dans les services étrangers occidentaux.
En 1934, les habitants étrangers répertoriés sont du nombre de 64 en tout, avec 7 membres du clergé, 12 dans l’éducation, 4 travaillant dans le secteur médical, 3 dans l’intermédiation, 26 dans la production, 2 dans le secteur du transport, 9 dans les services étrangers occidentaux et une personne pour laquelle le secteur professionnel n’est pas indiqué. La nature des individus était plutôt dans des métiers intellectuels plutôt que manuels en 1901, alors qu’en 1934 la nature des occupations professionnelles est davantage portée vers l’industrie, avec la machinerie, l’exploitation minière et l’exploitation pétrolière. Les étrangers présents à Séoul étaient donc à la base des religieux et petit à petit, l’industrialisation de la Corée a amené les étrangers vivant là-bas à travailler dans ce secteur, et la présence missionnaire a diminué. Avec cette Corée en plein développement, l’éducation s’est elle aussi développée, avec comme résultat des postes dans l’éducation qui ont doublé entre 1901 et 1934.
De 1887 à 1900, il y avait de nombreuses missions religieuses étrangères comparées au nombre de compagnies étrangères. La plupart des missions étrangères étaient américaines, suivies des missions anglaises et françaises et une présence canadienne mineure. Il y avait plusieurs types de missions avec plusieurs communautés d’églises, comme les églises presbytériennes et les églises épiscopaliennes. Concernant les compagnies, la quasi-totalité étaient japonaises, avec de nombreux commerçants et la banque nationale japonaise installée depuis 1898. Des journaux qui ne sont pas japonais apparaissent, la compagnie de chemin de fer électrique de Séoul est répertoriée en 1900 et un hôpital est inscrit depuis 1898. Divers gouvernements étrangers ont installé des représentations diplomatiques à Séoul, avec des légations et consulats japonais, français, anglais, américains, chinois, russes et allemands.
De 1901 à 1912, les missions religieuses sont toujours présentes, particulièrement les missions françaises et russes, mais de nombreuses nouvelles compagnies étrangères sont indiquées. La présence japonaise se fait sentir avec de nombreuses entreprises. Pourtant, l’augmentation des Occidentaux à Séoul se voit depuis le début du XXème siècle, avec la création de journaux et de magazines sur Séoul et la Corée, la présence d’importateurs et d’exportateurs étrangers et d’institutrices de langues dans la ville de Séoul. D’autres gouvernements étrangers se sont installés, comme la légation italienne en 1903 et belge en 1905. L’amélioration de la vie quotidienne des Séouliens peut se voir par la création de la compagnie électrique de Séoul en 1902.
De 1913 jusqu’en 1937, bien que les missions étrangères restent, le nombres de compagnies devient largement supérieur à ces missions dans le répertoire des Chronicle & directory. Les compagnies japonaises se multiplient, comme le producteur et fournisseur de gaz et d’électricité Nikkan en 1913. De grandes entreprises occidentales voient le jour à Séoul, comme une compagnie pétrolière américaine en 1920 et la société de production et de distribution américaine Metro-Goldwyn-Mayer en 1934. Dans ce laps de temps, le consulat néerlandais s’installe dans la ville en 1919. Cette présence étrangère a augmenté dans la capitale de la Corée, avec une population japonaise très élevée comparée à la population chinoise, ou encore à la population américaine et européenne, et qui reste minime malgré son augmentation d’année en année.
Les ouvrages The chronicle & directory font donc une description précise de la ville et répertorient les étrangers présents à Séoul, en précisant leur pays d’origine ainsi que leur activité. En regardant ces recueils sur plusieurs années, nous pouvons voir le développement de la ville sous l’administration coloniale japonaise. Avec des progrès apportés par la présence étrangère, en aménageant la ville et en créant les infrastructures nécessaires pour que la population accède à tous ses besoins, comme la santé et l’éducation, Séoul s’est transformée et est devenue une ville moderne dans les années 30. Aujourd’hui, troisième mégapole la plus peuplée au monde, la ville de Séoul a un niveau de vie très élevé et est devenue une des plus puissantes villes d’Asie.