L’influence des populations étrangères sur l’évolution de la ville de Busan aux XIXème et XXème siècles
Audrey GARINO

Busan 1872
Les registres Asia Directory & Chronicle sont des ouvrages qui ont été rédigés lors de la période coloniale asiatique et répertorient des informations concernant les populations étrangères sur place. Un volume en langue anglaise est paru chaque année et se présente de la manière suivante : les villes principales d’Asie sont classées par pays, chaque ville est pourvue d’une description sommaire sur son état (bâtiment, population locale, commerce et échange…), puis sont listées les entreprises et institutions étrangères (nom, adresse et employés qui les composent), mais également les missions religieuses.
Ces registres permettaient donc dans un premier temps un travail de recensement de la population étrangère présente, puis d’établir une liste des entreprises, institutions et missions religieuses étrangères. Grâce à ces données, il était possible de constater l’influence d’un pays étranger par le nombre d’entreprise ou institutions établie, et d’être en mesure d’expliquer la prédominance de certaines religions par rapport à d’autres, mais aussi de pouvoir comparer les données de chaque année afin de monter une évolution.
Cette note de synthèse se focalise sur la ville de Busan en Corée du Sud. Pour cela, les registres Asia Directory & Chronicle des années 1885 à 1937 ont été utilisés. Dans les registres, le nom de la ville est retranscrit avec l’orthographe Pusan. C’est donc sous cette orthographe que sera mentionnée la ville dans cette note.
La description de la ville de Pusan telle qu’elle est consignée sur le registre est décrite comme étant la principale ville portuaire de la province de Kiung-Sang. A cette époque, la Corée (alors connue comme Royaume de Chosun, Joseon, Chosŏn ou encore Chosun, littéralement le pays du matin calme) était découpée en huit provinces et se situait sur ce qui est aujourd’hui la Corée du Nord et la Corée du Sud.
Après des invasions japonaise et mandchoues à la fin du XVIe et au début du XVIIe, le royaume de Corée mène une politique d’isolationnisme pendant de très longues années, se refusant à toute influence étrangère. Seules des relations diplomatiques avec la Chine et le Japon étaient maintenues, ainsi que des échanges commerciaux uniquement à des points spécifique (la frontière mandchoue pour le commerce avec la Chine et le Waegwan situé dans le port de Pusan pour le commerce avec le Japon). A l’étranger, il est donc connu sous le nom de Royaume ermite (terme utilisé pour la première fois par William Elliot Griffis dans son ouvrage Corea: The Hermit Nation).
Les dirigeants politiques en place dans les années 1800 sont désireux de continuer la politique isolationniste et souhaitent bannir toute influence occidentale. La Corée se trouve alors disputée par plusieurs puissances impériales, dont le Japon, afin d’établir un contrôle sur la péninsule. À la suite de l’apparition de tensions entre la Corée et le Japon, un navire japonais est envoyé afin de surveiller les côtes coréennes et finit par atteindre l’ile Ganghwa en septembre 1875, qui avait déjà été le théâtre de confrontation entre le royaume coréen et des puissances étrangères. Un conflit éclate, se soldant par une victoire japonaise, et aboutit à la signature du Traité de Ganghwa le 26 février 1876, aussi appelé « traité d’amitié ». Ce traité impose l’ouverture du port de Pusan au commerce japonais ainsi que de deux autres ports, Chemulpo (aujourd’hui Incheon) et Yuensan (aujourd’hui Wonsan) ; et permet entre autres de faciliter la surveillance et l’installation de résidents japonais sur le territoire, tout en leur garantissant un grand nombre d’avantages. Cela facilitera la prise de pouvoir du Japon sur la Corée quelques années plus tard. Avec la signature du traité, un grand nombre de Japonais vont commencer à s’installer dans les ports de Pusan et de Yuensan.
La signature de ce traité avec le Japon met fin à l’isolationnisme de la Corée et permet donc à la ville d’effectuer ses premiers échanges commerciaux dès 1876 avec le Japon, puis à partir de 1883 avec les nations occidentales.
L’influence japonaise va s’intensifier de plus en plus. En 1894, la Chine est sollicitée à la suite de rébellions dans les provinces du sud et envoie des troupes afin de rétablir l’ordre. Le Japon envoie également des troupes et après avoir réprimé les révoltes, demande à la Chine sa coopération dans la formation d’un nouveau gouvernement. Devant le refus de la Chine, ayant toujours possédé des liens ancestraux avec la Corée, le Japon pousse les troupes chinoise hors du pays, ce qui déclenche la guerre sino-japonaise de 1894-1895. Le traité de Shimonoseki met fin au lien privilégié entre la Chine et la Corée. La fin du Royaume de Choseon, remplacé par l’Empire de Corée, est proclamée le 13 octobre 1897.
Un autre conflit permet au Japon d’étendre son emprise sur le royaume : la guerre russo-japonaise de 1904-1905, qui se déroule en partie sur la péninsule coréenne. Le Japon en sortant vainqueur, cette victoire le conforte quant à la légitimité de sa domination sur la Corée. Par la signature du Traité d’Eulsa le 17 novembre 1905, il impose à la Corée le statut de protectorat japonais. Cet évènement facilite grandement l’annexion de l’empire coréen à l’empire Japonais le 29 aout 1910, dans lequel il demeurera jusqu’à la fin de la seconde guerre mondiale en 1945.
Ainsi, à partir des années 1910, quand la Corée se trouve sous occupation japonaise, la ville portuaire s’écrit dorénavant Fusan, Pusan étant utilisé seulement par la « population native », et est mentionné comme ville de la province de Chosen (nom donné par l’empire japonais à la péninsule coréenne).
Dans le rapport, les éléments principaux de la ville de Pusan sont un village autochtone, la colonie japonaise et le centre historique. Le village autochtone est composé d’habitations en chaume et compte une population d’environ 2000 habitants dans les années 1880, puis d’environ 5000 à 5500 habitants à partir des années 1896. Ce village grossit jusqu’à dépasser les 33000 habitants après 1917.
La colonie japonaise est installée à quelques kilomètres du village autochtone et est à l’opposé de l’ile Cholyong. La colonie est assez bien aménagée, propre et bien entretenue. Elle se trouve sous le contrôle du consul, qui est assisté par le conseil municipal, et cela jusqu’en 1910. A ce moment là, le contrôle de la ville passe sous l’autorité du préfet qui est nommé par le gouvernement général de Chosen. L’ordre dans la colonie est maintenu par une force de police vêtue d’uniformes de style européen. On dénombre plus de 2000 résidents japonais dans le rapport de 1885, dont la moitié viennent de l’ile de Tsushima.
Le centre historique de la ville est demeuré fortifié. Il contient les greniers royaux servant de stockage pour le riz et abrite quelques habitations pauvres, ainsi que la résidence des responsables militaires en charge. Quatorze autres villages autochtones se trouvent également dans le bassin du port, à quelques kilomètres de la colonie japonaise. Le quartier de Tong Li Fu (écrit Tong Nai Fu à partir du rapport de 1890) est le principal centre de commerce local. Dans le rapport de 1892, la population recensée uniquement dans ce quartier est d’environ 28,000 habitants, et atteint les 30,000 habitants dans le rapport de l’année suivante. A la fin de 1890/ début 1900, 33000 habitants y sont dénombrés.
La ville subit peu de modification au fil des ans, cependant, dans le compte rendu de 1891, on peut noter parmi les plus importantes l’installation de lampes à kérosène ainsi que la mise en place d’un réseau de distribution d’eau par canalisation. A partir de 1901, des travaux commencent pour établir une ligne de chemin de fer entre Pusan et Seoul, ce qui permet à la ville portuaire de s’imposer comme un centre d’activité majeur, et d’augmenter grandement les échanges passant par le port. Les travaux s’achèvent le 10 novembre 1904. En parallèle des travaux de construction du chemin de fer, un grand plan de réhabilitation est mis en place afin d’améliorer les installations portuaires, afin de fournir des sites de constructions convenables pour la création d’entrepôts. Une nouvelle salle municipale, un nouveau réseau d’eau, l’installation de l’électricité et la fabrication de bonnes routes dans le quartier étranger sont également mis en place dans un même temps. Sous l’administration japonaise se rajouteront l’élargissement des réseaux d’eau et l’établissement de nouvelle routes, puis dans les années 1930 l’établissement de 12,6 miles de tramway électrique.
Concernant les échanges commerciaux du port de Pusan catalogués en 1885, les principaux éléments exportés sont le cuir, la corne, les os, les algues rouges et blanches, le poisson séché, la nageoire de requin, les haricots, la noix de galle, le tourteau, le coton, les objets, le tissu fait d’herbe, la soie sauvage, les pois, le riz, le blé, et divers médicaments. Les principaux éléments importés sont le verre, les voiles, le métal blanc, le kérozène, le colorant à l’aniline, les allumettes, le papier, et divers articles. Pusan devient très rapidement un des principaux ports de Corée. Malgré des chiffres assez bas dans les premières années répertoriées (dû à l’ouverture du port de Chemulpo), force est de constater l’augmentation quasi constante du chiffre d’affaires, avec un pic pour l’année 1897, année du début de l’Empire de Corée. Une absence de chiffres en 1894, 1895, 1900 et 1901 peut s’expliquer respectivement par la guerre sino-japonaise et par les conflits ayant précédé la guerre russo-japonaise.
Il est également possible de constater un changement de devise entre les trois graphiques, les chiffres d’affaires étant exprimés en dollars (des années 1884 à 1899) puis en livres sterling (de 1902 à 1909). Enfin, de 1914 à 1916, alors que la Corée se trouve sous occupation japonaise, le chiffre d’affaires se trouve naturellement exprimé en yen.
Le rapport de 1885 montre qu’aucune entreprise étrangère (hors japon) ne s’est encore établie à Pusan, bien que de plus en plus d’étrangers commencent à entrer dans le pays et à le visiter. A cette époque, la ville ne comprend que deux consulat, chinois et japonais, ainsi que quelques entreprises japonaises. Les seuls travailleurs étrangers non asiatiques sont répertoriés en tant qu’employés de la Royal Maritime Custom. Le rapport de l’année suivante recense l’établissement du consulat britannique dans la ville. Les premières entreprises chinoises sont inscrites dans le rapport de 1893 et une entreprise russe apparaît dans le rapport de 1896.
C’est à partir des années 1900 que les entreprises occidentales commencent à être recensées, bien que le plus souvent non présentes physiquement et représentées par une société. Elles demeurent cependant en très petit nombre, les entreprises étrangères étant dans la quasi-totalité dirigées par les Japonais. Il est intéressant de remarquer la disparition, dans les rapports, du consulat Chinois ainsi que des entreprises chinoises dans les années 1894 et suivantes. Cela s’explique par la guerre sino-japonaise de 1894 à 1895. La première mission religieuse listée est la mission canadienne du YMCA dans le rapport de 1890. Elle est remplacée l’année suivante par l’American Presbyterian Mission, la Presbyterian Church of Victoria et la Mission Étrangère de Paris.
Les résidents étrangers dénombrés à Pusan sont très majoritairement japonais, et les Chinois et Occidentaux représentent un nombre presque négligeable. Les chiffres tels qu’ils apparaissent dans le rapport montrent donc une présence japonaise dominante qui croît au fil des années, à opposer aux autres nationalités représentées uniquement sur quelques années. A partir des années 1900, ce n’est d’ailleurs plus que la population japonaise qui est répertoriée.
Cependant ces chiffres doivent être pris dans le contexte. A l’époque, lorsque les populations étaient recensées, il était uniquement question des personnes adultes de sexe masculin. Ainsi, si la totalité de la population étrangère n’a pas été quantifiée, cela donne quand même une idée de la présence étrangère dans la ville. En 1900, la population étrangère en Corée est chiffrée à 17000 Japonais, 3710 Chinois et 596 autres nationalités (dont 239 Américains, 141 Britanniques, 80 Français, 62 Allemands et 45 Russes).
En tant que l’un des ports principaux du pays, Pusan est un pôle d’échange essentiel dont le réseau de transport et d’échange se développe grandement au fil des ans. En novembre 1883, l’installation d’un câble télégraphique sous-marin permet à la ville d’être connectée au Japon. La Mitsu Bishi Mail Company, ensuite remplacée par la Nippon Yusen Kaisha, met en place une ligne régulière de bateau à vapeur entre Kobe et Vladivostok, faisant escale à Nagasaki, Pusan et Yuensan. A cette ligne s’ajoute en 1883 une nouvelle ligne reliant Kobe à Jenchuan et faisant escale à Nagasaki et Fusan. Un trajet mensuel avec le japon à bord d’un petit bateau à moteur est également mis en place. De nouvelles lignes apparaissent au fil des années 1880 et 1890, notamment la lignes Shanghai – Vladivostok (faisant escale à Chefoo (Yantai), Jenchuan, Pusan et Yuensan), ou la ligne Osaka – Pusan (faisant escale à Shimonoseki). Lorsque le pays est annexé par le Japon en 1910, le Japon met en place un trajet journalier entre le port et le Japon.

Busan 1910
Les descriptions dans le rapport permettent de constater d’une évolution de la ville sous l’administration coloniale japonaise. Même si les chiffres peuvent manquer et si le recensement des entreprises et institutions diffère d’une année sur l’autre, la présence japonaise reste toujours majoritaire, comparée aux résidents étrangers d’autres nationalités. Par des travaux de construction, de réhabilitation et par l’établissement d’un réseau de transport, les Japonais ont pu hisser Pusan à la place de port principal du pays. C’est donc directement grâce à l’autorité japonaise que la ville a pu se développer et être en mesure de devenir la métropole puissante qu’elle est aujourd’hui. Busan en effet est la deuxième ville de Corée du Sud derrière la capitale, influente dans le pays sur le plan économique et culturel, mais influente également en Asie, puisque son port est classé parmi les meilleurs ports au monde.